CE QUI DÉPEND DE MOI 4/4 – Je ne peux pas sauver le système, mais je peux me sauver moi : rester, partir, se transformer…

À l’automne 2025, après la formation ASG, une phrase résume assez bien là où j’en suis arrivé :

Je ne peux pas sauver le système.
Mais je peux me sauver moi.

Pas me sauver au sens héroïque.
Me sauver de ce qui, petit à petit, use, déforme, abîme :

  • L’épuisement,
  • La colère permanente,
  • La rumination,
  • La honte de moi quand je me surprends à maltraiter sans le vouloir.

A. Je ne peux pas sauver le système… mais je peux me sauver moi

Pendant longtemps, j’ai fonctionné comme si tout reposait sur mes épaules.
Comme si c’était à moi de compenser les manques, rattraper les erreurs, sauver la maison qui brûle.

Avec la formation, puis le retour au quotidien, quelque chose a bougé.

Je ne peux pas :

  • Empêcher les démissions,
  • Décider des budgets,
  • Réécrire la politique du groupe,
  • Garantir que certaines situations ne se reproduiront jamais,
  • Être derrière tout le monde pour vérifier tout, tout le temps.

En revanche, je peux ramener encore et encore mon attention sur ce qui dépend vraiment de moi :

  • Ma posture : la manière dont j’entre dans une chambre, dont je me tiens auprès d’un résident.
  • Ma présence : est-ce que je suis là pour de vrai, ou juste en train d’enchaîner des gestes ?
  • Ma manière d’écouter : est-ce que je laisse une place à ce que la personne vit, ou est-ce que je plaque mes réponses ?
  • Mes limites : jusqu’où je peux donner sans me détruire, à partir de quand je dois me protéger.
  • Mes choix : rester, partir, dire oui, dire non, refuser certaines dérives, demander de l’aide.

À partir de là, la question change :

Ce n’est plus : « Comment je sauve l’EHPAD ? »
mais : « Est-ce que je peux encore me regarder dans la glace le soir ? »

Le reste continue d’exister, bien sûr.
Mais ce n’est plus là que je mets mon énergie principale.

Parfois, peut-être que ça inspire certains collègues.
Parfois, ça en agace d’autres.
Peut-être que ça ne changera rien à l’échelle du système.

Ce n’est plus le sujet.

Mon sujet, c’est : est-ce que, aujourd’hui, j’ai été le soignant que je veux être ?

B. Se sauver, ce n’est pas fuir : rester humain dans un système abîmé

« Me sauver moi », ce n’est pas devenir indifférent.
Ce n’est pas me blinder au point de ne plus rien ressentir.
Ce n’est pas non plus m’installer dans un rôle de victime éternelle.

C’est essayer de tenir cette ligne de crête :

  • Ne pas basculer dans le cynisme (« de toute façon, ça ne sert à rien ») ;
  • Ne pas m’anesthésier pour tenir (« je coupe tout, je deviens une machine ») ;
  • Ne pas trahir ce que j’ai compris de mon métier, de la relation, de la bientraitance.

Tant que je peux :

  • Rester présent à ce que je fais,
  • Voir encore des petites victoires,
  • Sentir qu’il y a du sens, même à petite échelle,

Alors je peux continuer à travailler ici sans me renier complètement.

Le jour où ce ne sera plus le cas, la vraie question sera :
qu’est-ce que je fais de cette lucidité ?

C. Rester ou partir : mes critères lucides

De là est née une autre question, plus radicale :

« Et si ce qui dépendait de moi, c’était aussi de choisir un autre cadre pour exercer ? »
« Et si tout ce que j’ai appris m’appelait, un jour, ailleurs ? »

Pas par fuite.
Pas par vengeance.
Mais par alignement.

J’ai commencé à clarifier ce qui, pour moi, serait des signaux de départ, et ce qui, au contraire, me ferait rester.

Les signaux qui me diraient : « là, il faut partir »

Je sais que je devrai sérieusement envisager de partir si :

  • Je constate que je ne peux plus du tout appliquer ce que j’ai appris, même à petite échelle ;
  • Je commence à m’anesthésier pour tenir, à me couper de mes émotions juste pour survivre aux journées ;
  • Je sens que je deviens vraiment cynique, que les résidents deviennent des « dossiers », des « lits », des « chambres », plus des personnes ;
  • Ma santé mentale se dégrade durablement.

Si ces voyants passent au rouge, rester ne serait plus du courage.

Ce serait de l’autodestruction.

Ce qui me ferait rester

À l’inverse, je reste tant que :

  • Je peux encore, même modestement, incarner la posture ASG que j’ai construite ;
  • Je vois encore des petites victoires, un geste juste, une parole qui tombe au bon endroit, un moment de vraie rencontre ;
  • Je ne me trahis pas moi-même.

Pour l’instant, je reste.

Pas par héroïsme.
Pas par sacrifice.
Mais parce que je crois encore possible de préserver mon humanité ici.

Le jour où ce ne sera plus vrai, je partirai.
Et ce sera un choix conscient, pas une fuite.

D. Ce que je garde de la formation ASG

La formation ASG ne m’a pas seulement appris des techniques pour accompagner des personnes âgées atteintes de troubles cognitifs.

Elle m’a appris quelque chose de plus radical :

Comment rester humain dans un monde qui, trop souvent, ne l’est plus.

En y entrant, je cherchais :

  • Des outils,
  • Des méthodes,
  • Des grilles de lecture.

J’ai trouvé un miroir.

J’ai découvert que :

  • Je ne peux pas accompagner l’autre plus loin que je ne me suis accompagné moi-même ;
  • Mes biais, mes jugements, mes projections filtrent ma perception avant même que je m’en rende compte ;
  • Écouter vraiment, c’est accepter de ne pas savoir, de ne pas conseiller tout de suite, de ne pas remplir les silences à tout prix ;
  • La relation et la compétence clinique sont indissociables ;
  • Accepter ce que je ne peux pas changer libère de l’énergie pour agir sur ce qui dépend de moi.

Aujourd’hui, en novembre 2025, je ne suis pas devenu un soignant parfait.

Je continue à :

  • Juger trop vite,
  • Conseiller trop vite,
  • M’énerver parfois,
  • Retomber dans mes vieux réflexes.

Mais la différence, c’est que je m’en rends compte.
Et cette prise de conscience change tout.

Elle me donne une boussole intérieure :

  • Un repère pour revenir à l’essentiel quand je me perds,
  • Quelque chose que j’emporterai avec moi, où que j’aille, que je reste ici ou que je parte un jour.

Ce chemin ne m’a pas seulement formé.

Il m’a transformé.

Et cette transformation-là, personne ne pourra me la retirer.

E) Et maintenant ? Pourquoi ce site existe

Tout ce que j’ai traversé avec la formation ASG dépasse largement le cadre d’un simple diplôme.

Ce n’est pas seulement une spécialisation.
C’est une manière d’être :

  • À soi,
  • Aux autres,
  • Au soin,
  • Au monde.

Ce site, « Un pont entre deux mondes », naît de là :

  • De ce besoin de mettre des mots sur ce chemin,
  • De partager ce que j’ai compris (et ce que je ne comprends pas encore),
  • De continuer à explorer comment rester humain dans des systèmes qui, parfois, ne le sont plus.

Ce quatrième article clôt mon micro-projet ASG.
Mais pour moi, il ouvre surtout la suite : un espace où je vais continuer à chercher, écrire, questionner, pour rester, autant que possible, le soignant que je veux être.

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